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Dermatologie Vétérinaire

Blog d'information de dermatologie vétérinaire tenu par des spécialistes en dermatologie vétérinaire

Démodécie canine: questions/réponses

Publié le 12 Décembre 2011 par Dr Emmanuel Bensignor in Parasites

La démodécie canine est une dermatose parasitaire relativement fréquente chez le chien, qui peut poser de nombreux problèmes aux propriétaires, aux éleveurs et aux vétérinaires. De nombreux éléments font de cette dermatose une entité particulière à bien des titres. Nous vous proposons ici quelques éléments de réponse aux questions les plus fréquemment posées à notre consultation.

 

 

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Qu'est-ce qu'une démodécie?

La démodécie, ou démodécidose, est une ectoparasitose due à la prolifération excessive dans la peau d’un acarien spécifique, parasite commensal à l’état naturel des follicules pileux, nommé Demodex canis.Demodecie-Canine 0036

Cette maladie a anciennement été appelée "démodicose", "démodexose", "gale folliculaire" et "acné parasitaire". Elle est improprement qualifiée de gale démodécique: il s'agit d'un terme inexact car les Demodex ne sont pas des agents de gale et la démodécie n’est ni contagieuse ni, en général, prurigineuse.demo0031 003 1PP.demo.10 005

La première description d’un acarien de la famille des démodécidés remonte à 1842 chez l4homme et à 1843 chez le chien. Une autre espèce, dite « de surface », encore sans dénomination, de taille plus courte, a été décrite récemment au niveau des couches superficielles de la peau chez le chien.

Demodex canis est un parasite permanent des canidés: il vit au sein des follicules pilosébacés. Les Demodex sont très adaptés à leur hôte: ils possèdent un corps étroit et allongé, qui leur permet de vivre en grand nombre dans les follicules pileux.

On retrouve à l’état normal des Demodex chez les chiens sains (comme d’ailleurs chez tous les mammifères), où ils font partie intégrante de la faune résidente cutanée. C'est leur multiplication qui est pathologique, responsable de l'apparition de lésions cutanées. On ne doit parler de démodécie que lorsque de très nombreux parasites sont présents dans la peau.

 

Quelles sont les particularités de ce parasite?

Hormis le fait que des chiens sains hébergent ce parasite à l'état normal, et que c'est leur multiplication qui est responsable de l'apparition de symptômes cutanés (le plus souvent à la faveur d'un immunodéficit), les Demodex sont des acariens particuliers: ils se nourrissent du contenu des cellules de la peau en les ponctionnant, de sébum et de débris cutanés. Ils ne sont pas hématophages (pas de repas de sang à la différence des moustiques ou des puces). Leur activité nutritionnelle aboutit progressivement au comblement du follicule pileux par la kératine, à sa distension puis son éclatement. La rupture du follicule est à l’origine de la dissémination des Demodex par voie sanguine et lymphatique au sein de l’organisme.

La durée de vie des parasites est faible (quelques semaines en moyenne). Les Demodexsont très sensibles à la dessication, ce qui explique que leur survie dans le milieu extérieur est très faible.

 

Quels sont les symptômes de la démodécie?

On pourrait parler de démodécies au pluriel, plutôt que de la démodécie, tant les lésions rencontrées sont variables. On distingue en effet, en fonction de l'âge de l'animal, une démodécie du jeune chien (animal âgé de moins de deux ans à l'apparition des lésions cutanées) et une démodécie de l'adulte (animal âgé de plus de deux ans à l'apparition des lésions cutanées). En fonction de l'extension des lésions, on distingue une forme localisée et une forme généralisée, de pronostic et de traitement différent. En fonction de la forme clinique enfin, il est possible de différencier les démodécies sans infection bactérienne (démodécies sèches) et les démodécies avec complications bactériennes secondaires (pyodémodécies).

La démodécie localisée est observée le plus souvent chez le chiot ou le jeune chien. Plusieurs formes cliniques sont classiquement décrites.

Une forme nummulaire se caractérise par des zones sans poil, de taille restreinte, à "l’emporte-pièce". Une hyperpigmentation et l’apparition de comédons est possible. Le plus souvent, les chiens ne se grattent pas. Les zones de prédilection englobent les zones humides (face, région périoculaire, paupières, membres antérieurs, cou). Toutefois toutes les régions du corps peuvent être atteintes.

Une forme diffuse est rencontrée plus fréquemment dans certaines races (bobtail, west highland white terrier...). Il s’agit alors de rougeurs, d’hyperpigmentation, de comédons et de la présence de nombreuses "pellicules" sans réelle chute de poil.

Dans certains cas, les lésions sont localisées au niveau des pieds ou du conduit auditif externe. La démodécie podale peut initialement se manifester sous l’aspect d'une simple rougeur localisée aux espaces interdigités, mais rapidement une infection bactérienne apparait, qui complique le tableau clinique: fistules, nodules, hyperpigmentation, épaississement cutanés. La douleur et l’oedème sont particulièrement gênants notamment chez les chiens de grandes races (dogues, terre-neuve, saint-bernard) et provoquent une boîterie.

La forme auriculaire exclusive est rare chez le chien. Elle se traduit par une otite érythématocérumineuse s’accompagnant d’un cérumen cireux jaunâtre à brun.

Enfin, il existe une forme généralisée qui représente une des plus graves dermatoses canines, et constitue une des dermatoses les plus difficilement curables dans cette espèce. Quel que soit l’âge du chien souffrant de démodécie généralisée, on distingue une forme non compliquée d'infection bactérienne (démodécie sèche) et une forme compliquée d'infection bactérienne (pyodémodécie). En général, la démodécie généralisée est la conséquence de l’évolution d’une démodécie localisée, notamment diffuse. Les lésions débutent sur la face, les membres et le tronc). On observe des zones sans poil, avec des rougeurs et des "pellicules", des comédons et une hyperpigmentation. Chez certains chiens, la démodécie généralisée se manifeste exclusivement sous la forme de taches hyperpigmentées multiples. Dans certaines races (shih-tzu, bobtail, lhassa apso, West Highland white terrier), l’alopécie peut rester modérée. Chez le labrit, des lésions comédoneuses généralisées peuvent être la seule traduction clinique de la dermatose.

Les complications d'infection bactérienne regroupent des pustules, des furoncles, des fistules, des croûtes, voire des lésions de cellulite (nécrose, hyperpigmentation, ulcères) libérant un pus sanieux. Ces lésions sont souvent douloureuses. Dans les formes terminales, un retentissement sur l’état général peut survenir, avec asthénie, anorexie et syndrome fébrile. Une septicémie, voire la mort de l’animal sont possibles.

 

Comment la démodécie se transmet-elle?

La transmission a lieu au cours des deux ou trois premiers jours de la vie, par contact direct de la mère avec les chiots, notamment au niveau du museau lors de la têtée. Ce transfert n’est possible que lorsque les Demodex migrent d’un follicule à l’autre en surface de l’épiderme. Ils sont présents sur la peau du chiot dès seize heures après la naissance. La transmission serait facilitée dans une atmosphère chaude et humide.

La dermatose n’est pas contagieuse par contact entre chiens dans d’autres circonstances du fait de la sensibilité des Demodex à la dessication et de leur faible mobilité. L’application directe de parasites sur la peau ne provoque pas d'infestation, sauf dans des conditions extrèmes (il a été montré qu’il fallait appliquer pendant plus de cent minutes des biopsies cutanées de chiens démodéciques à des chiots nouveaux-nés sains pour aboutir à leur contamination).

Toutes les autres modalités de transmission sont très improbables. Il a en effet été démontré que la transmission in utero était impossible: les chiots d’une chienne démodécique nés par hystérotomie demeurent indemnes si tout contact maternel est évité. En outre, on n’observe jamais de Demodex sur la peau de chiots morts-nés.

A fortiori la contagion indirecte, via l’environnement, est impossible.

 

La démodécie est-elle héréditaire?

La démodécie généralisée est associée à une prédisposition héréditaire. L’apparition de la dermatose dans des lignées de chiens est un phénomène reconnu.

 

Quels sont les chiens "à risque"?

La démodécie est plus souvent rencontrée chez les chiens jeunes et les jeunes adultes de moins de deux ans. La forme localisée est observée dans plus de 50 pour cent des cas chez des animaux âgés de trois à six mois, et dans presque trois quarts des cas chez des individus de moins d’un an. La démodécie généralisée est rencontrée dans 80 p.cent des cas chez des animaux de moins de quinze mois et dans 20 p.cent des cas chez des adultes de plus de cinq ans.

Les prédispositions raciales décrites dans la littérature sont nombreuses (tableau I).

 

 

tableau I: prédispositions raciales à la démodécie

 

Certains auteurs ont rapporté que les chiens de race pure et/ou à pelage court présenteraient une susceptibilité plus importante aux formes de démodécie juvénile, en particulier les pinshers et les sharpeïs (tableau II).

 

 

tableau II: prédispositions raciales à la démodécie d’après Folz

 

En fait, la prédisposition à la démodécie tient sans doute plus à des facteurs génétiques familiaux, comme le prouve l’apparition préférentielle de la maladie dans certaines lignées.

Aucune prédisposition sexuelle ni influence de la castration n’intervient dans le développement de la démodécie.

Chez le chien adulte, l’apparition de la démodécie est la conséquence de l’évolution d’une maladie générale débilitante dans 3 cas sur 4. Une maladie interne, une néoplasie, un traitement immunosuppresseur sont le plus souvent rencontrés. Il a aussi été observé qu’une démodécie pouvait se déclarer à l’occasion de stress variés (oestrus, gestation, lactation).

 

Comment faire le diagnostic?

Le diagnostic de démodécie est réalisé par le vétérinaire, à l'aide de prélèvements cutanés par raclages, qui mettent en évidence au microscope des parasites vermiformes, à corps étroit et allongé, d’une taille de 250 à 300 µm de long sur 40 µm de large.

 

Quel est le pronostic de cette maladie?

Les cas localisés présentent une évolution spontanée qui aboutit souvent à la guérison. La démodécie généralisée est l’une des dermatoses canines les plus graves et les plus difficilement curables. Une fois installée, cette maladie parasitaire évolue vers une aggravation par surinfection bactérienne qui complique d’autant la thérapeutique. Les traitements spécifiques sont assez onéreux, et les rechutes sont fréquentes, ce qui implique qu'en cas de démodécie généralisée, notamment chez un animal adulte qui souffre d'une maladie sous-jacente, le pronostic soit réservé.

 

Quels sont les traitements antidémodéciques disponibles?

Avant 1978, aucune molécule n’avait prouvé son efficacité dans le traitement de cette dermatose.

Depuis cette période, une molécule acaricide topique a permis un progrès thérapeutique considérable. Cette molécule est disponible sur le marché vétérinaire depuis quelques années. Cependant son utilisation est fastidieuse, parfois délicate, les effets secondaires tant pour l’animal que pour le propriétaire ne sont pas négligeables, et les taux de guérison et de rechute sont variables.

Récemment, l’efficacité d’antidémodéciques par voie générale a été évaluée. Ces substances présentent l'avantage d'être administrables par voie orale. Un traitement sous forme de comprimés, à administrer tous les jours, est disponible depuis quelques années. Un autre traitement, plus récent, à base de pipettes à appliquer sur la peau du cou, est commercialisé depuis quelques mois mais son efficacité semble moins bonne.

 

Comment et quand traiter?

Les guérisons spontanées étant fréquentes, le traitement des formes localisées n’est pas justifié.

La forme généralisée constitue un défi thérapeutique (les chiens démodéciques ont, pendant longtemps, été euthanasiés) et le traitement est indispensable dans ce cas.

Le traitement prescrit par votre vétérinaire doit être scrupuleusement suivi afin de permettre la guérison. Il est souvent administré au long cours. Un suivi rigoureux est primordial pour une bonne gestion de la dermatose: il faut apprécier la réponse thérapeutique tous les mois, en effectuant des raclages cutanés au niveau de plusieurs sites lésionnels, et en réalisant un dénombrement parasitaire précis. Le vétérinaire contrôle ainsi la diminution du nombre total de parasites. Le traitement devra être poursuivi jusqu’à l’obtention de raclages négatifs, qui signent la guérison parasitologique. Toute interruption prématurée du traitement expose à des rechutes. En particulier, il est important de noter que l’amélioration puis la guérison clinique précèdent très nettement l’amélioration et la guérison parasitologique: un chien cliniquement normal peut encore héberger une population importante de parasites.

 

En cas d'infection bactérienne, l'utilisation concommitante d'antibiotiques est nécessaire. Enfin, il est toujours très utile de rajouter à ce traitement acaricide spécifique un traitement symptomatique sous forme de shampooings, qui permettent de restaurer les fonctions de barrière de la peau et peuvent même dans certains cas aider à l'élimination des parasites.

 

Comment éviter l'apparition d'une démodécie dans un élevage?

L’intervention de l’hérédité dans la démodécie canine est fortement suspectée: plus grande incidence de la démodécie généralisée au sein de certaines races, existence de lignées atteintes de génération en génération, chiennes démodéciques à l’origine de multiples portées infestées...

Une prévention de cette dermatose est donc souhaitable. Il est donc fortement suggéré de stériliser les chiens ou les chiennes atteints et d’écarter de la reproduction les étalons et les femelles des lignées atteintes. Cette solution peut paraître excessive, mais elle permettrait d'éradiquer cette maladie dans le futur. Notons que l’Académie Américaine de Dermatologie Vétérinaire a conseillé dès 1983 à ses membres la castration systématique des animaux atteints ou ayant des descendants atteints, avant ou immédiatement après le traitement de leur dermatose.

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